Des pirates insoumis de One piece aux héroïnes scientifiques de Miyazaki : pour une écologie populaire
Cet été, à l’occasion de la Convention Nationale des scop et des scic, j’ai eu le plaisir d’animer une conférence avec Gabriel Malek, fondateur de l’association Alter Kapitae et auteur de Sensei de la décroissance.
Il propose une lecture écologique et post-croissance des grands classiques du manga, de One Piece à Fullmetal Alchemist en passant par l’univers onirique des studios Ghibli. Pour reprendre ses mots, « les mangas sont politiques, et portent l’utopie de notre siècle ».
La France est le deuxième plus gros consommateur de mangas au monde. Le manga est devenu un bien culturel, accessible à tous et toutes, apprécié à la fois des adultes et des jeunes. Il se déploie et propage des histoires sur tout notre territoire.
Or, derrière les récits populaires, épiques, romantiques ou oniriques, de nombreux mangas véhiculent, sans en avoir l’air, des valeurs puissantes : solidarité, émancipation, résistance, respect du vivant, sobriété joyeuse, coopération, futurs désirables. Des idéaux de liberté et d’écologie.
Cette intuition est d’ailleurs formulée par Fatima Ouassak, cofondatrice du collectif Front de mères. Comme elle l’écrit dans Pour une écologie pirate, ces récits peuvent être de puissants leviers de mobilisation pour une écologie populaire – c’est-à-dire de lutte pour que chacun se sente ancré dans une terre, et libre d’en rayonner. Dans les quartiers populaires, le manga One Piece est ainsi particulièrement apprécié, grâce à « la très forte identification à la figure de l’enfant-pirate et sa soif de liberté».
Pour reprendre ses mots, le manga a effectivement, un « potentiel hors pair pour faire résonner les idéaux » et « contribuer à bâtir des imaginaires de lutte radicaux, joyeux et déterminés ». Il suffit de voir Luffy, le héros, se battre férocement pour la défense des opprimés, y compris les hommes-poissons pourtant tellement différents de lui, pour comprendre la portée de ce message – avec plus de 500 millions d’exemplaires vendus dans le monde, sans compter les déclinaisons en animés, elle est considérable.
Autre géant de l’univers manga, dont je suis davantage familière, l’univers de Miyazaki, qui est tout entier un plaidoyer pour une cohabitation des humains et non-humains, parties prenantes d’un même tout. Je pense notamment à Nausicaä de la Vallée du Vent, dans lequel face à l’effondrement écologique d’une “gargantuesque société industrielle” l’héroïne – une femme forte comme souvent chez Miyazaki – utilise son esprit scientifique et son indépendance pour ramener la paix et établir une nouvelle concorde.
Mais on pourrait également citer Gen d’Hiroshima, qui fait l’objet d’une série du Monde en ce moment même, et qui est un puissant appel en faveur de la paix et de la non-violence – ainsi qu’un témoignage glaçant de la dévastation des armes nucléaires. Les références mobilisables sont ainsi très nombreuses.
Princesse Mononoké, un autre plaidoyer écologique marquant de l’univers Miyazaki
J’ajoute qu’il serait naïf de faire de tous les mangas des pourvoyeurs de messages progressistes. Comme toute littérature, on y trouve résolument de tout – une partie des Shonens, le genre auquel appartient Dragon Ball Z, souffrent par exemple d’une vision franchement sexiste à longueur de page. Et comme tout geste artistique, un manga peut être dévoyé – on sait que les Dragons Célestes de One Piece sont détournés sur des forums au service de messages antisémites, le “dog whistling”.
Gabriel Malek montre toutefois, en reliant les idées les plus avancées à des travaux plus classiques, que les mangas nous invitent à explorer d’autres voies pour vivre mieux, “la décroissance prospère”. Ils lui servent par exemple à illustrer de façon remarquable ce que Richard Easterlin a démontré, dès 1974 : qu’au-delà d’un certain seuil, l’augmentation de richesse ne rend pas plus heureux. Plus de croissance ne veut pas dire plus de bonheur. Les mangas le montrent sans jargon. Comme il le dit lui-même : « Ça aurait sans doute moins bien marché avec un rapport du GIEC ».
Grenoble !
Le manga est aussi utilisé par Banlieues Climat lors de ses ateliers de sensibilisation et de vulgarisation autour de la question climatique. Dans sa formation réalisée par des jeunes des quartiers populaires en direction d’autres “premiers concernés”, l’association mobilise ces références- entre autres codes partagés largement, musicales ou sportives. Et ça marche !
Cette rencontre avec Gabriel Malek constituait un bon rappel d’à quel point l’écologie doit mobiliser un référentiel, des pratiques, une esthétique accessible à toutes et tous, et qui mobilise des imaginaires différents.
Laurence Ruffin