J’étais l’invitée du Dimanche En Politique, sur Ici Alpes, pour parler de la situation industrielle en Isère, aux côtés de Raphaël Guerrero, Maire de Jarrie, Thierry Carron, Secrétaire adjoint FO ISÈRE, et de Gabriel Colletis, Professeur d’Économie à Toulouse.
Alors même que Grenoble est la Métropole la plus industrialisée de France après Paris, les derniers mois ont vu plusieurs entreprises annoncer d’importantes suppressions de poste, parfois comme Vencorex après une mise en redressement.
Cette table ronde était donc pour moi l’occasion de revenir sur des idées importantes sur ce secteur essentiel de notre économie.
La première évidence, c’est qu’il s’agit de repenser l’industrie à l’aune des limites planétaires. L’industrie doit poursuivre sa transformation, au service de sa décarbonation et de celle des autres secteurs, mais aussi dans son adaptation aux risques que le franchissement des limites nous fait courir. Cela ne peut que passer par des produits plus durables, plus réparables, et plus simples, par une énergie fiable et décarbonée, par le développement des filières autour de l’économie circulaire.
Cette transformation n’adviendra pas par la seule volonté d’une industrie aujourd’hui très financiarisée, engagée dans une lutte face au dumping social, écologique et financier d’autres pays. Elle demande avant tout l’engagement d’un Etat stratège, pour nous faire sortir de la logique de l’offre et entrer dans la logique des besoins et des usages. Cet Etat stratège est désespérément absent – nous voyons bien sur notre territoire son défaitisme et son absence de solution. De quelle industrie avons-nous besoin ? Voilà la question à laquelle nous devons répondre collectivement. Et ensuite mener le travail pour relocaliser et développer les chaînes de production stratégiques : médicaments, batteries…
Les leviers existent pour agir. Nous pouvons réorienter l’épargne vers l’investissement productif pour aider notre tissu industriel PME/ETI à se moderniser – avec 166 robots pour 10 000 habitants, nous sommes loin des moyennes européennes. Nous pouvons reprendre la main sur les entreprises critiques pour la Nation – par exemple en gagnant des droits de vétos dans la gouvernance de ces entreprises, en entrant au capital des entreprises ou même en mobilisant le décret Montebourg de mai 2014, qui permet de bloquer le rachat d’entreprise stratégique par des capitaux non européens mais n’a jamais été utilisé jusqu’ici. Nous pouvons enfin repenser les aides aux entreprises, qui sont aujourd’hui inefficientes et mal calibrées ; plutôt que des baisses de charges généralisées qui grèvent les finances publiques, cibler spécifiquement l’industrie stratégique avec des subventions conditionnées à des objectifs industriels, environnementaux et sociaux précis.
Cela ne pourra pas se faire sans une action à l’échelle européenne. Cela fait des années que tous les experts demandent un véritable protectionnisme vert aux frontières, en sortant de la quête du plus bas prix, et à ses conséquences sociales et environnementales dramatiques. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, malgré le MACF – et ses lacunes. Il faudra veiller aussi à mettre fin, au sein même de l’Union Européenne, au dumping de pays à pays – fiscal, environnemental, législatif…- qui a des conséquences délétères sur nos territoires et abime la promesse européenne. Ce rôle protecteur et harmonisateur par le haut de l’Europe est urgent à l’heure où la hausse des barrières douanières américaines accroit la pression chinoise sur nos producteurs.
Pour autant, l’industrie doit se transformer aussi par elle-même. L’Etat, l’Europe et les collectivités ne peuvent que impulser, appuyer et contrôler cette transformation. Or nous nous heurtons ici à une vraie limite, celle de la gouvernance de ces entreprises. La très haute financiarisation des actifs industriels conduit très souvent à une course au profit court terme, incompatible avec les objectifs que nous voulons collectivement nous donner. C’est pourquoi une transformation de la gouvernance de ces entreprises est nécessaire – que ce soit en s’inspirant de l’Allemagne, pour accroitre lourdement le poids des salariés dans les conseils d’administration, ou en promouvant d’autres modèles économiques, comme les coopératives, aujourd’hui mal soutenues par l’Etat.
En matière industrielle, je ne crois pas en la fatalité : il existe une façon différente de faire de l’industrie, et une autre politique industrielle est possible. Elle repose sur la coopération, met au cœur de l’industrie l’utilité sociale et la transition écologique. Défendre cette industrie-là, c’est aussi se battre pour des emplois ancrés, valorisants, bien rémunérés sur tout le territoire. Et répondre, par les faits, aux défaitisme de ceux qui prospèrent sur la désespérance : l’extrême droite.
Laurence Ruffin